4 Chords of the Apocalypse (pv).

Toute la nuit, April l'avait passée dehors. Et à la question pourquoi, elle demeurait encore sans réponse. Elle n'avait pas eu envie de rentrer chez elle ce soir là. Il était aussi hors de question de passer la soirée au bar en cette seule soirée qu'elle avait réussi à conserver libre. En somme, le choix avait été vite fait. Elle errerait encore dans la pénombre à l'entrée du désert, cherchant à voir si une forme quelconque de vie apparaissait à cet endroit. Une fois, elle y avait vu quelqu'un. C'était ce qu'elle avait cru tout au moins, mais jamais n'avait découvert de nouveau solitaire au clair de lune.
Elle devait faire peur à voir, l'aube venue. Des cernes violacées ornaient le bas de ses yeux, tandis que son visage était encore plus blanc qu'habituellement. On aurait cru qu'elle avait vu un fantôme, ou plus rationnellement, que sa nuit avait été difficile. C'était d'ailleurs le cas. Après avoir été se promener dans le désert - il y faisait moins chaud la nuit - elle avait marché en ville, seule. Etrangement, elle appréciait cette solitude, ce silence. Plus personne ne lui demande rien alors, et c'était ce qu'elle recherchait. Toute la journée, il avait fallu qu'elle travaille chez Sam, supportant avec un sourire feint les remarques sarcastiques des clients qui ne se privaient pas de commenter le moindre de ses gestes.

April, voyant le soleil se lever décida de rentrer chez elle, manger un peu, dormir surtout. Elle marcha un instant avant d'atteindre les quatre murs qui lui servaient de domicile. "Y'a quelqu'un ?" L'apostrophe destinée à sa petite soeur resta sans réponse. Elle n'était apparemment pas encore rentrée de sa nuit. Comme si, chez les Bellhart, la coutume était de ne dormir que le jour. Il y avait par contre un petit papier posé sur la table. Elle saisit le post-it entre ses doigts, le rapprocha de son visage. Elle reconnut en ce griffonage la calligraphie de sa cadette. Pense à faire les courses, les placards sont vides ! April soupira en reposant le papier à l'endroit exact où elle l'avait trouvé. Elle ouvrit les deux meubles qui leur servaient de garde-manger et constata, à l'instar de sa soeur, qu'ils étaient désespérément vide. Il était donc bien temps de se rendre à l'épicerie, bon gré mal gré. Il n'y avait qu'à espérer que Thackeray ne serait pas de la partie. Non seulement leurs familles étaient d'exactes opposées, mais il s'agissait surtout là d'une rivalité qui n'était liée qu'à eux. Pour une raison étrange, jamais ils n'avaient pu se supporter. April essayait donc de l'éviter tant que c'était possible. Pour les cas d'extrême urgence - comme l'absence de nourriture, pour n'en citer qu'un -, il fallait bien se confronter au déplaisant personnage. Un instant elle songea à jeter le post-it et affirmer ne pas l'avoir vu, et puis elle statua enfin sur son sort. Elle irait, et s'il était là, elle l'ignorerait. Quelque chose comme ça.

Elle se mit en marche pour l'épicerie. Tout déplacement s'effectuait à pied, à Wollanup, en tous cas pour ceux qui ne possédaient pas de voiture (ou n'étaient pas habilités à la conduire). Le petit bâtiment se dessina enfin. April jeta un bref regard à la liste qu'elle avait établi à la va-vite, oubliant probablement la moitié de ce qui leur était nécessaire. Elle rassembla rapidement ce qu'elle voulait acheter. Il faut dire que le magasin n'était pas suffisamment grand pour y passer plus d'une demi-heure, à moins d'adopter une démarche plus lente encore que celle d'un escargot. Elle était seule avec Aidan dans la boutique. Forcément. April lui adressa un regard froid et posa ses achats sur le comptoir.
Il ne se priva pas de lui adresser une remarque. "Mais pour te rendre visite, bien sûr." Répondit-elle, un large sourire aux lèvres. Elle était surprise qu'il ne dise rien sur son visage fatigué. Mais cela pouvait toujours venir, après tout. "Ca me fait tellement plaisir de te voir." Ajouta-t-elle avec hypocrisie, ne se préoccupant guère de rester crédible.

April regardait Aidan additionner les produits sur le comptoir - ou ce qui en faisait office - avec passivité. Elle ne faisait qu'à moitié attention à ses faits et gestes, la fatigue ayant pris le pas sur la concentration qu'elle aurait du avoir sur les comptes du vendeur. Habituellement, elle se méfiait, le devinant capable de quelques erreurs plus ou moins volontaires, avec aucun autre objectif que susciter son énervement (et il y parvenait d'ailleurs plutôt bien, il faut l'avouer). Cette fois, elle ne le surveilla pas. Elle aurait pourtant dû.
Aidan réclama les quinze dollars que valaient les quelques achats qu'avait fait April. Elle haussa un sourcil à l'énoncé de ce tarif qu'elle jugea un poil excessif. Et puis tant pis. Elle retira un billet qu'elle posa devant Aidan, et compléta avec quelques pièces qui claquèrent sur le bois. Elle les avait extirpées de ses poches, où la monnaie semblait traîner depuis sa dernière visite à l'épicerie. Et il fallait l'avouer, cela faisait déjà un certain temps qu'elle n'avait pas mis les pieds dans cet endroit qui lui était des plus déplaisants.

Il laissa échapper un petit rire qui laissa, encore une fois, April de marbre. Ce n'est que lorsqu'il commença à parler qu'elle adopta un regard intéressé. Elle se demandait ce qu'il s'apprêtait à lui dire, quelle horreur il avait encore imaginé. Elle ne redoutait plus ses paroles. C'était presque la curiosité qui animait son écoute, à présent. [color:54fc=darkslate grey]« Il semble que nous soyons amenés à nous croiser souvent… Toi à l’épicerie, moi au bar. Je serais tenté de dire que le monde est petit mais le fait est que le nôtre l’est réellement… » Nouveau haussement de sourcils alors qu'il s'emparait des pièges dont elle avait fait l'acquisition. Elle ne pouvait s'empêcher de se questionner quant à ce qu'il comptait lui dire. Elle ne tarda pas à obtenir une réponse, réponse qui étrangement, parvint à lui arracher un sourire. C'était plus que rare.

"T'aimerais bien, c'est ça ?" Répliqua-t-elle en reprenant son acquisition des mains d'Aidan. "Mais je vais devoir te détromper. D'ailleurs, j'aurais probablement trouvé mieux pour te le montrer. Et si ma présence au bar te dérange, tu peux demander à Sam de me renvoyer. Tu me rendrais un sacré service." April lui adressa un regard, avant de disposer ses achats dans le sac qu'elle avait emmené dans ce but. Alors qu'elle rangeait, elle calcula le prix de l'ensemble, et arriva à la conclusion qu'elle avait payé un petit peu trop. Elle soupira.

"Putain, Thackeray, t'es vraiment con. Tu m'as volé trois dollars, je sais pas si tu l'as fait exprès ou si t'as un sérieux problème de calcul. En tous cas, j'aimerais assez les récupérer." Affirma-t-elle, impassible.

« Oh vraiment ? » Avait répliqué Aidan alors qu'elle lui reprochait son erreur de calcul, apparemment fortuite. C'était ce qu'il voulait laisser croire, en tous les cas, mais April n'était pas tout à fait dupe. Ce coup-là, il le lui avait déjà trop fait. Elle s'était attendue à des protestations, et pourtant elles ne vinrent pas. Apparemment, Aidan n'avait pas envie de jouer à ça aujourd'hui, et April en était presque déçue. Maintenant qu'elle était là, elle aurait aimé débattre encore un peu. « Ok, soit, trois dollars. » Finit par admettre son interlocuteur, adoptant un ton monocorde.

Un sourire étira les lèvres d'April, satisfaite. Il faut dire que, d'une manière plus générale, ce n'était pas à elle que revenait le dernier mot, mais plutôt à celui qui lui faisait face. Elle se contentait alors de rester silencieuse, feignant l'indifférence. En réalité, elle s'en voulait à chaque fois de ne pas avoir su répliquer. Cette fois-ci, donc, elle avait fini par obtenir gain de cause. Avant de lui rendre sa monnaie, néanmoins, Aidan s'approcha d'elle en abaissant les épaules, un peu comme lorsque l'on confie un secret. Il baissa légèrement la voix pour lui faire part de ce qui paraissait être de la compassion. Les sourcils d'April se froncèrent. Elle ne parvenait pas à comprendre la motivation d'Aidan en prononçant ces quelques phrases. Peut-être était-ce de la gentillesse. Elle en doutait.

« C'est pas comme si ça me déplaisait qu'on m'ignore, à la limite. » Elle marqua une pause avant de poursuivre. « Si seulement certains pouvaient s'en contenter. » Enonça-t-elle, élevant ses épaules en guise d'accompagnement à ses paroles. Elle faisait, bien entendu, référence à ceux qui ne pouvaient s'empêcher de commenter le moindre de ses faits et gestes - comme ils le faisaient avec toutes les serveuses. En général elle ne s'en plaignait pas, principalement parce qu'aucune oreille ne lui paraissait à un niveau suffisant pour échanger avec elle. Etrangement, c'était à Aidan qu'elle se confiait aujourd'hui. Pourtant, jamais ils n'avaient communiqué de cette manière là, soit sans s'adresser des remarques désagréables tout au long de leur échange.

« Hé, ne vas pas croire que je suis sensible à ta condition, ou quoi, hein. » Ajouta Aidan, en adoptant une mine détachée. April le regarda se justifier et les sourcils, manifestant ainsi son incompréhension. Elle avait du mal à saisir ce qui motivait Aidan dans ses paroles, et il lui semblait qu'il ne cessait de se contredire. Parfois, il semblait presque compatissant mais l'instant d'après, affirmait ne pas s'en préoccuper.

« Ouais, uhm, j'imagine bien que ça te préoccupe pas trop. » Répondit-elle, alors qu'elle n'était pourtant qu'à moité convaincue de ce qu'elle avançait. « La vie à l'épicerie, ça doit être tellement plus palpitant. » Avait-elle ajouté, suivant ses mots d'un sourire ironique. Elle s'empara du sac rafistolé qui faisait office de panier, et dirigea son regard sur Aidan.
« Sinon, tu veux bien me rendre mon fric ? » Dit-elle, constatant qu'il n'avait toujours pas restitué la monnaie.

« Ne sois pas hautaine, non plus. Si tu n’aimes pas ton job, personne ne t’obliges à te laisser marcher dessus de cette manière. » Pour une fois, elle songea qu'il n'avait peut-être pas tort. Et pourtant, jamais ne l'admettrait, bien trop orgueilleuse pour cela. Rien ne la retenait au bar, alors, pourquoi y restait-elle ? C'était une question qu'elle ne s'était jamais réellement posée. C'était comme ça. April avait la sensation d'y travailler depuis toujours, comme quelqu'un qui avait passé sa vie derrière le comptoir. Pourtant, ça ne faisait pas plus de cinq ans qu'elle y travaillait. Le fait étant qu'il n'y avait rien d'autre à faire à Wollanup, elle y était presque continuellement. C'était sûrement cela qui altérait son jugement et lui faisait penser qu'elle s'y rendait depuis une éternité. Elle ne savait pas bien quoi répondre à Aidan, et se contenta donc de l'observer en silence.
Il ne perdit pas de temps pour poursuivre. « Et ne me sort pas le discours de celle qui a besoin de thunes pour subvenir à ses soi-disant besoins. Y’a des tas d’autres moyens de s’enrichir, et ceux-là ne nécessitent pas forcément d’être humilié. »
April haussa les épaules, marquant l'absence de réponse à lui donner. Elle ignorait ce qu'elle pouvait faire d'autre. D'ailleurs, travailler au bar ne la dérangeait en réalité pas tant que ça, remarqua-t-elle. Elle ignorait pourquoi elle aimait tant s'en plaindre, puisque c'était sa seule occupation. Et Aidan avait raison : si cela lui déplaisait réellement, elle pouvait faire autre chose. Jamais elle n'avait été enchaînée de quelque manière que ce soit à cet emploi. Rien ne l'y retenait, mais elle restait, malgré tous les inconvénients qu'elle y trouvait.

« C'est pas vraiment pour m'enrichir, c'est plus pour, je sais pas, m'occuper. Ca fait passer le temps, et de toute façon y'a pas grand chose d'autre. » Elle s'interrompit, repassant mentalement tous les lieux où elle pouvait trouver du travail. « Si, remarque, je pourrais aller bosser au casino. C'est une idée, après tout. Je devrais aller postuler ! » Ajouta-t-elle avec un léger rire. Elle se demandait si lui fréquentait cet endroit, mais se garda bien de le questionner à ce propos. Le ton presque cordial de cette entière conversation était suffisamment étrange ainsi.
Aidan était appuyé avec nonchalance sur le comptoir, paraissant très peu déterminé à lui rendre sa monnaie. Il avait cette même attitude décontractée qu'elle lui avait toujours connu, comme si rien ne l'atteignait. Ca avait le don de l'énerver, il paraissait ne jamais rien prendre au sérieux.

Le silence soudain qui s'était installé était presque gênant pour April, qui hésitait à rappeler Aidan à sa première requête. Ce ne fut pas nécessaire. « Qu’est-ce que tu vas faire, si je te rends pas ton pognon, uhm ? Tu vas me le prendre de force ? » Provocation ridicule, pensa April. Elle leva ostentatoirement les yeux au ciel et ne chercha même pas à discuter. Lui ne s'arrêta pas à cette phrase. Il lui posa une question qu'elle jugea pour le moins étrange.
« Quand cesseras-tu d’être aussi glaciale, Bellhart ? » Il ne donnait même pas l'impression de se moquer, pour une fois. Elle était surprise de cette remarque, et encore plus provenant d'Aidan. April se demandait pourquoi il lui posait cette question. Elle ne s'y attendait pas une seule seconde, et cela lui déplaisait étrangement.
Elle avait relevé brutalement son visage vers lui. « Et quand cesseras-tu de poser des questions ridicules ? » Déstabilisée et en l'absence d'une quelconque stratégie rhétorique, c'était encore la réponse la plus simple, bien que peu convaincante.