Got it Alone [April]

A l’instar des personnages de vieilles séries télé australiennes – un tantinet kitch mais toutefois fort appréciables – la première chose que Voltaire, dit Volt, fit en arrivant devant le panneau « Bienvenue à Wollanup », fut de lâcher ses bagages sur le sol de poussière et d’inspirer un grand coup. Le jeune homme n’avait aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour parvenir à aller au bout de ses investigations, mais il était sûr d’une chose : compte tenu du temps interminable qu’il lui avait fallu pour arriver jusqu’à ce trou perdu, il n’allait pas s’en aller de ci-tôt. Deux semaines et demi, c’était dire. D’abord, un voyage en train, longeant le long de la côte australienne, en partance de Sydney. Puis, parce qu’il s’était fait éjecter du wagon par un contrôleur assez regardant sur la validité des billets, il s’était retrouvé à louer une mobylette dans le but peut-être un peu utopique de traverser les cinq cent kilomètres qu’il lui restait jusqu’à sa destination. Evidemment, l’engin avait lâché au moment où il s’était retrouvé au milieu du désert et il avait dû avancer, sa guitare dans le dos, son violon d’une main et son sac de voyage de l’autre, à travers l’étendue qui paraissait interminable, et qui l’était vraiment. Bien sûr, le trajet n’avait été fait uniquement à pied. De temps à autre, il arrivait qu’une auto, voir un car, vienne s’attarder sur cette route immense qui traversait le centre de l’Australie. Alors, il se faisait véhiculer, pendant quelques kilomètres, jusqu’à un village ou il se reposait. C’était d’ailleurs à bord d’un des rares camions de ravitaillement qu’il était parvenu à ce panneau.

Repoussant les cheveux qui lui collaient au front en raison de la chaleur, il récupéra ses affaires et se dirigea vers les bâtisses les plus proches. Les rares habitants qu’il croisait lui jetaient des regards proches de la méfiance et le jeune homme commençait vaguement à regretter de ne pas être resté dans la capitale Australienne. Après avoir tenté d’établir un lien avec deux ou trois personnes, un jeune homme d’environ son âge lui conseilla de se rendre au « Sam’s bar », qui était, dit-on, à quelques mètres devant lui. Là bas, on serait capable de lui dire qui louait des chambres pour la nuit. « Demandez April », avait ajouté son interlocuteur, sourire au coin des lèvres.

Quelques minutes plus tard, il pénétra dans le bar. L’endroit était assez sombre, en dépit du fait que nous étions en plein milieu de l’après midi, et à l’exception d’un ou deux vieux, il était vite. Passant une main sur son visage, Volt s’approcha du comptoir ou était adossé un des habitués.

« Euh… ‘Jour. On m’a dit de demander April ? »

L’homme, d’un geste de la tête, lui indiqua l’extrémité du bar, ou était effectivement adossée une jeune femme, qu’il n’avait pas aperçue en arrivant. Toujours chargé de ses affaires, il traversa le bar dans sa direction. Souriant comme sourirait quelqu’un de social et de sympathique venant d’arriver dans des contrées inconnues, il l’interpella.

« Excusez moi… Êtes vous April ? »

Oui, il était un garçon poli. C’est pas parce qu’on a grandit sans éducation parentales qu’on ne connaît pas les bonnes manières, non mais.

« On m’a dit que vous pouviez m’indiquer un endroit ou dormir… Je viens d’arriver ici et… »

Et là, Volt s’aperçu qu’elle ne l’écoutait pas.

L'après-midi s'était écoulée lentement, comme de coutume. Aucun incident particulier n'était venu rompre la monotonie habituelle, mais ce n'était pas comme si April s'était attendue au contraire. C'était toujours ainsi, et personne ne voyait pourquoi - ou comment - quelque chose dans ce mécanisme aurait pu être modifié. Elle avait servi quelques verres (de bières, dans le coin, on ne consommait pas grand chose d'autre), et puis avait décidé de s'accorder une pause qu'elle jugeait bien méritée. Non pas qu'elle se soit tuée à la tâche ; loin de là. Seulement, elle savait parfaitement que Sam ne lui ferait aucun reproche si elle disparaissait quelques heures, tout au plus. Il ne lui disait jamais rien, sachant pertinemment qu'elle ne pouvait pas abandonner son poste ici. Il lui était vital de travailler dans le seul et unique bar de Wollanup, puisque sans revenus, elle aurait très vite du rentrer chez ses parents. Cette idée lui était intolérable.

April s'octroya donc une pause, et le signala à l'autre serveuse qui était là. Elle alla s'installer à l'arrière du bar, où elle savait que personne ne viendrait la déranger. On pouvait entendre le bourdonnement des voix à l'intérieur, qui parvenait à elle par une fenêtre ouverte. April soupira en maudissant, silencieuse, les clients qui remplissaient son lieu de travail. Elle resta plusieurs minutes inactive. Elle attendait simplement que le temps passe. Et puis elle se décida à rejoindre l'intérieur, plus par défaut que par réelle envie de reprendre le travail. April entra, et immédiatement se dirigea vers le comptoir. Il n'y avait là qu'un seul client. « Uhm, bonjour. » Lui lança April, détournant son regard sans même attendre les salutations de l'homme, qui n'était autre que Brem Hodgkins, la quarantaine, front dégarni et moustache qui se voulait distinguée. Rien de bien attrayant, en somme.

Elle qui avait envisagé de s'asseoir sur l'un des tabourets en attendant qu'on la demande, allait devoir trouver une autre solution. Il n'était pas envisageable une seconde de s'installer aux côtés d'un client (et surtout pas à côté d'un client auquel on n'a pas envie de parler). Par conséquent, elle se réfugia dans un coin, à l'arrière du bar, et se planta là, adossée contre le mur, bras croisés, attendant qu'on la rappelle à l'ordre.
Un inconnu fit irruption, encombré de valises, et echangea quelques mots avec le père Hodgkins. Elle ne put en saisir la teneur, mais ce qu'elle remarqua, c'est qu'il s'avançait dangereusement vers elle. April ignorait ce qu'il lui voulait et ne voulait même pas le savoir. Elle s'apprêtait à l'ignorer, mais il l'interpella.

« Excusez moi… Êtes vous April ? » Et voilà, il avait fallu qu'on lui envoie un nouveau sur les bras. C'était sûrement un coup de sa soeur, qui voulait toujours faire d'elle une fille charmante et généreuse. Pourtant, ce n'était pas le cas, et ce n'était pas le sourire sympathique qu'arborait l'étranger qui la ferait changer d'avis. Elle acquiesça d'un signe de la tête. « Ouais, c'est moi. C'est pourquoi ? »
Il lui expliqua chercher un lieu pour dormir. C'était donc bien un nouvel arrivant, selon ses dires. Elle ne l'écoutait que d'une oreille néanmoins, se demandant qui avait pu envoyer ce pauvre garçon à sa recherche. Si c'était Marian, elle aurait du se douter qu'April se moquerait éperdument de jouer les bonnes samaritaines. Il y avait plus de chances pour que ce soit quelqu'un du village qui avait voulu faire une plaisanterie à cet étranger.

« T'as l'hôtel. C'est sûrement un peu minable, pour quelqu'un de la ville, remarque. » Elle avait en effet conclu qu'il était un citadin, par sa tenue d'abord, mais aussi parce qu'il tenait à la main un violon. Ce n'était pas très commun, aux alentours de Wollanup. Elle leva les yeux vers lui, indifférente. « Mais dans le coin t'auras pas beaucoup mieux. »
April, bien qu'elle ne veuille le lui demander, aurait voulu savoir d'où il venait et surtout, ce qu'il faisait ici.

Les autochtones ont tous ici un accent particulier. Tandis que les habitants de Sydney parlent tous rapidement, ici, à Wollanup, les gens s’expriment avec une certaine lenteur, ce qui ne les empêche pas d’avaler leurs mots. Ce doit être ça de vivre au bout du monde, avoir le temps de s’exprimer, mais oublier de bien le faire. Malgré lui, et sans le savoir, Volt avait sans doute un coté très snob et surtout une haute estime de la ville ou il avait grandi et qui lui paraissait soudain tellement mieux que cette campagne ou les individus ne sont, au premier coup d’œil, pas vraiment avenants. Pourtant, on lui a toujours dit le contraire : à la campagne, les habitants sont plus calmes, plus posés, plus sympathiques.

Oui, mais pas ici. Ici, tout le monde te regarde de travers, comme une bête curieuse, sans pour autant daigner répondre à tes questions. Il avait fallu à Volt près d’une demi-heure pour arriver à ce bar, alors que la ville devait avoir la taille d’un mouchoir de poche, et tout le monde se fiche de sa condition de nouveau venu.

« Ouais, c'est moi. C'est pourquoi ? »

La brune vient de lui répondre sans se formaliser. Pas d’un bonjour, ni d’un bienvenue enthousiaste comme il s’y serait attendu. Non. Elle parait ennuyée de sa présence, comme si il la dérange au milieu des tas d’autres choses qu’elle a à faire. Ce qui ne paraît pourtant pas être le cas. Il ne lui manque plus qu’un chewing-gum à la bouche pour qu’elle remplisse le portrait de la parfaite barmaid rabat joie de campagne.

« T'as l'hôtel. C'est sûrement un peu minable, pour quelqu'un de la ville, remarque. »

Bon, ok, on se tutoie. Il essaye d’être poli, de faire bonne impression, et voilà qu’on se met à le tutoyer. Bon, certes, la fille doit avoir son âge et même un peu moins, mais quand même, Volt essaye ici de se construire une nouvelle image de lui, une image de mec qui se tient bien en société et qui est près à tout savoir sur sa famille d’origine de manière cavalière et sympathique. Or, l’univers lui prouve ici clairement qu’il n’a en rien besoin de se donner cette peine. Du moins, pas dans ce bar.

« Mais dans le coin t'auras pas beaucoup mieux. »

Il pose son sac sur le sol et son violon sur le tabouret à coté de lui. Il se racle la gorge et répond : « En fait… Je cherchais plus un truc à louer. Je compte rester ici quelques temps. Tu connais peut-être quelqu’un qui loue une chambre ? »

Voilà. Tutoiement pour tout le monde. Peut-être que cette fille serait plus aimable si prenait un truc à boire.

« Je peux avoir une bière ? »

Volt n’avait jamais été un type hyper social. Il pouvait être sympa et faire des efforts lorsqu’il le fallait, mais la chose n’avait jamais été pour lui « naturelle ». Cependant, dans ce contexte particulier, il savait qu’il devait un minimum pour s’intégrer dans ce royaume étrange qu’est Wollanup. Voilà pourquoi, tendant la main à April, il se présenta : « Je suis Volt »

April détailla le nouvel arrivant qui venait de se présenter sous ses yeux. Sa tenue était différente de celles que l'on voyait à Wollanup, si bien qu'il n'était pas difficile de deviner qu'il n'était pas d'ici. En général, elle essayait habituellement d'éviter ceux qui venaient du reste du pays - ou même de plus loin - n'appréciant pas, d'une manière plus générale, la moindre variation dans son rythme de vie. Paradoxalement, elle se refusait à tout changement, même s'il lui arrivait parfois d'y songer.
De fait, c'était cette fois la nouveauté qui était venue à elle.

« En fait… Je cherchais plus un truc à louer. Je compte rester ici quelques temps. Tu connais peut-être quelqu’un qui loue une chambre ? » Répliqua-t-il sans se formaliser de formules de politesse quelles qu'elles soient. Cela ne la surprit pas outre mesure, puisqu'elle même lui avait répondu d'une manière abrupte. Même avec les autres habitants, il lui arrivait d'être plus cordiale, c'est pour dire. Elle apprit donc qu'il souhaitait demeurer à Wollanup plus longuement, et encore une fois un 'pourquoi' manqua de lui échapper. Elle réfléchit un temps à sa question avant de répondre. « Uhm, je sais pas trop. Faudrait voir avec le conseil. » April avait conscience de l'étrangeté de cette idée - consulter un conseil pour avoir un logement - et en jouait un peu. Elle avait envie de voir la réaction de l'inconnu dont elle ignorait encore le nom face à ces propos. « Il doit y avoir une ou deux baraques encore vides. » Conclut-elle.

« Je peux avoir une bière ? » Lui demanda-t-il. Il semblait bien qu'elle n'avait pas réellement le choix, cela ne dépendant pas d'elle. « Ouais, ouais. » April se dirigea donc vers le bar et servit l'inconnu avec un sourire légèrement forcé. C'était Sam, le propriétaire, qui insistait pour qu'elle soit agréable envers les clients. Alors qu'elle posait le verre devant l'étranger, il se présenta. Il s'appelait Volt. Savoir son nom ne comblait pas les questionnements d'April, mais c'était toujours bon à savoir.

« April. » Répliqua-t-elle en lui tendant la main en retour. Elle aurait aimé qu'il lui dise spontanément d'où il venait, ce qu'il faisait ici, qu'il réponde à ses interrogations sans même qu'elle les lui pose. Apparemment, ce ne serait pas le cas. « Et, uhm, tu es arrivé comment ici ? » Elle feignait ne poser cette question que par politesse, adoptant le ton distant qu'elle employait souvent. En réalité cela l'intéressait vraiment. Volt, sa guitare en bandoulière, et son violon à la main, l'intriguait.