this is not a drama piece of mine

She got a hat and all the hat says is « asshole »

Robin est assis sur son transat près de l’entrée de la station service. C’est sa place habituelle, c’est là qu’il passe le plus clair de son temps. Il fume cigarette sur cigarette en attendant les clients. Ils sont rares à Wollanup : peu de gens possèdent une voiture, et ceux qui ont le privilège d’en avoir une font peu de kilomètres. La station-service n’est donc là que par pur principe, et Robin n’est pas d’une grande utilité. Il permet au moins au vieil Abram de passer ses journées à dormir et à boire de la bière.

Aujourd’hui Aidan a installé sa chaise longue à côté de celle de Robin. Ils sirotent leur 3ème bière de la journée et papotent en attendant la pause déjeuner. Robin tient « La Métamorphose » dans une main, qu’il passe ses journées à lire encore et encore. Les deux frères sont certains qu’aucun client ne passera par la station-service. Ils l’espèrent en tout cas, car ils glanderaient bien encore des heures. C’est ce qu’ils font le mieux, ils adorent ça, ils passeraient bien leurs vies à végéter si ça ne dépendait que d’eux. Ils poseraient leurs chaises longues dans le désert, avec chacun de leur côté un frigo rempli de bière, et sous leurs sièges, des cartouches de cigarettes comme s’il en pleuvait. Personne autour pour venir les emmerder.

Aidan parle d’une de leurs cousines éloignées, une certaine Emma Thackeray dont Robin a vaguement entendu parler par leur père. Il en a peu dit sur elle car elle est la fille d’une cousine de leur mère, partie de longues années auparavant. Le temps passe mais le sujet est toujours un peu sensible. Quelques fois, les frères échangent les rares souvenirs qui leur restent de leur mère, et c’est toujours un peu douloureux. Ils essayent de se rappeler si elle était belle, si elle sentait bon, si elle leur donnait des surnoms. Avant de changer de sujet, parce qu’ils ne sont pas vraiment mélancoliques ou nostalgiques.
Ils parlent donc de cette Emma, mise en cloque par un Tromburg. Elle est de la famille et ils se demandent s’ils ne devraient pas aller tabasser le futur père afin de retrouver leur honneur. La conversation est stupide, limite moyenâgeuse. Ils ressemblent à deux loups près à pisser sur les murs de la maison de ce type pour marquer leur territoire. Robin sort légèrement ses abdos qui dépassent de sa chemise à carreaux. Aidan le trouve ridicule et lui frappe amicalement la tête.

C’est à ce moment là qu’une voiture s’est arrêtée à la station essence. Robin reconnait la Oldsmobile Cutlass 1977 de sa tendre Honey. La jeune femme est au volant, les cheveux blonds flottant au vent. Elle a ses habituelles lunettes mouches sur le nez, et le jeune homme la revoit franchir les portes de Wollanup quelques mois plus tôt, dans cette même décapotable rouge. Honey avait quitté sa vie rangée pour traverser l’Australie, vivre quelque chose de plus fort. Elle avait un fiancé, un diplôme de médecine, beaucoup d’argent et elle avait préféré tout plaquer. Claquer la porte.
Elle s’est retrouvée à Wollanup par erreur, en roulant dans le désert sans but précis. Elle manquait d’essence et n’avait pas d’autre solution que de passer par la station service du village. Robin et elle ont papoté, elle est restée et ils se sont revus. Le jeune homme a été assez romantique et naïf pour croire l’espace d’un instant pourrait être la bonne. The one. Eh bien il s’est foutu le doigt dans l’œil.

Honey sortit de la voiture et claqua la portière derrière elle. Elle était visiblement énervée, elle serrait les points et fronçait les sourcils. Elle se dirigea d’un pas vif vers Robin, s’arrêta devant lui pour le gifler violemment. Le jeune homme s’est juste mordu la lèvre, il n’a pas hurlé, malgré son caractère agressif. Il l’avait peut être méritée. Honey s’est tenue face à lui pendant plusieurs secondes, sans rien dire, les poings serrés. Ils se regardaient droit dans les yeux, se défiant du regard, à celui qui engueulerait l’autre de la manière la plus magistrale. Robin avait été un connard, un macho, un rustre et Honey avait eu toutes les raisons de le tromper (deux fois). Il aurait pu s’en foutre royalement mais il semblait qu’il avait quelques sentiments pour elle, car il tenta de la reconquérir. En vain.
Honey, la plus impudente, commença donc : « J’espère que tu comprends bien que tu mérites tout ce qui t’arrive. Tu es un gros naze, macho, un lâche ! » La jeune femme appuyait sur chaque mot, criait sur son ancien amant de sa voix aigue. « A mon avis tu ne te rends même pas compte de ton comportement. Parce que ton attitude a l’air réglementaire ici, par exemple, ton connard de frère, et tes connards de cousins se comportent exactement comme toi. Cette ville te pourrit alors que tu pourrais éventuellement être un mec bien et cultivé partout ailleurs. Parce que tu es un même sympa, quelque part. Mais au-delà de ça, tu te vois bien à cet endroit précis dans 10 ans, avec un ventre à bière en plus, et ton caniche de frère assis à côté de toi. C’est ce que tu veux ? » Elle marqua une pause. Elle était presque essoufflée, elle respirait fortement, debout face à Robin qui n’avait pas bougé. Voyant que le jeune homme n’a rien à lui répondre (c’est bien ce qu’elle espérait), elle se retourne pour regagner sa voiture, contente d’elle mais toujours énervée. Elle fait quelques pas avant de jeter un regard à Robin. « Au fait, tu pensera à me rendre ma montre. »

Elle marcha rapidement vers sa voiture. Les deux garçons avaient les yeux rivés sur elle, et pourtant ils ne disaient rien. Robin était plutôt diplomate et son frère préférait faire profil bas. La voiture de Honey a démarré, a disparu après un virage et les deux jeunes sont restés silencieux un moment. Jusqu’à ce qu’Aidan se lève de la chaise.

« Je vais te chercher une autre bière ? »