Honey — le premier jour du reste de ta vie

ONE
Alors, c'était aussi simple que ça ? Elle n'arrêtait pas de se poser cette même question, chaque fois qu'elle regardait dans le rétroviseur et qu'elle le voyait vide. Ou du moins, vide de toute trace de ce qu'elle avait laissé derrière elle, de ce qu'elle avait fui. Une part d'elle-même s'en voulait de ne pas avoir eu plus de regret à avoir tout claqué de la sorte. Elle avait cru se sentir horrible ; au contraire, elle était soulagée, comme libérée d'un poids qui l'opprimait depuis trop longtemps pour qu'elle s'en souvienne.

A vrai dire, il était étonnant qu'elle n'ait pas agi avant. Si on y réfléchissait, Honey avait toujours été la petite fille parfaite ; élevée dans une maison de banlieue chic, par des parents respectables. Sage et polie, elle suivait le parcours que toute la famille avait rêvé pour elle ; cela allait des vêtements qu'elle portait au type auquel elle s'était fiancée qui, sans avoir été directement choisi par ses parents, avait été unanimement approuvé. Il était talentueux, beau, riche et ils devaient se marier. Elle en était contente, ou croyait l'être, à vrai dire elle ne savait plus. Mais finalement, à mi-chemin entre le choix de la robe de mariée et la signature du devis du traiteur, elle avait décidé de s'enfuir. Loin. Une valise pour seul bagage et un simple "je suis désolée" pour la famille. Elle n'avait pas pu ou elle avait voulu ; difficile de savoir si cette fuite était synonyme de courage ou de lâcheté. Le reste fut simple : elle avait juste besoin de sa voiture et d'un peu d'argent. Une sorte de road trip comme on en voit dans les films. Au fond, elle avait juste envie de se sentir vivante, pour une fois.


TWO
"Bon, vous m'en donnez combien ?"

Elle l'avait coupé net, ayant la désagréable impression que le type la baratinait pour tenter de faire descendre le prix de sa voiture. Elle avait toujours roulé dans son Range Rover hors de prix mais elle avait envie de changement. Et la décapotable rouge garée un peu plus loin sur le parking du garage lui avait tapé dans l'œil. Elle n'y connaissait rien en mécanique et n'avait surtout jamais appris la valeur de l'argent. Bref, la seule chance qu'elle avait de s'en sortir, c'était d'user les nerfs du vendeur.

"Je prends la rouge là-bas et je vous laisse mon 4x4 donc... combien ?"

Il ouvrit la bouche et elle sentit qu'il allait lui dire une nouvelle fois qu'il devait discuter avec son patron, qu'il n'était pas sûr et que ce genre de modèle se vendait moins bien aujourd'hui. Elle soupira d'avance et lança :

"Ecoutez, laissez tomber. Votre collègue plus loin me filait 15 000 pour ma voiture donc je vais y retourner, je crois."

Le vendeur eut l'air de sourire un instant avant d'accepter sans broncher de lui filer 15 000 dollars et la voiture qu'elle voulait. Clairement, elle s'était faite avoir. Mais c'était toujours mieux qu'avoir écouté les palabres du type pendant une après-midi entière, pensait-elle. De toute façon, négocier n'avait jamais été son truc et elle mourait d'envie de poser les pieds dans un casino et dépenser sans compter. En plus, son 4x4 ne lui plaisait plus et elle voulait s'en débarrasser d'une manière ou d'une autre. Bref, autant d'arguments pour faire taire les ultimes protestations que les restes de petite fille en sage en elle clamaient. Les regrets, elle ne voulait plus s'en encombrer.


THREE
"Putain..."

La voiture commençait à pécloter. Elle ne savait que trop bien ce que cela signifiait : une panne sèche d'ici quelques miles. La jauge d'essence n'avait jamais marché sur cette bagnole et elle se maudissait en cet instant de ne jamais s'en être souciée puisque, bien sûr, il fallait qu'elle tombe en panne en plein milieu de nulle part. Elle attrapa la carte qui trainait sur le siège d'à côté et la posa sur le volant pour tenter de se situer par rapport à la ville la plus proche. Elle fronça rapidement les sourcils et jura en se rendant compte qu'elle ne savait même pas où elle se trouvait par rapport au motel où elle avait dormi la nuit dernière. En plus, la route ne semblait pas être la plus passante de l'Australie. Chouette, elle mourrait sûrement de soif avant que quelqu'un ne montre le bout de son nez. Dépitée, elle se décida à stopper sa voiture pour faire le point sur la situation, comme si faire quelques pas sous le soleil brûlant allait l'aider. Quoique. En faisant le tour de la voiture, elle remarqua des habitations un peu plus haut. Elle avait dû les passer il y avait une bonne demi-heure sans les avoir remarquées mais ça valait le coup de tenter sa chance. Elle remonta donc dans sa décapotable et fit demi-tour. Elle tomba en panne peu avant d'atteindre le village et continua à pieds. Elle remarqua non sans joie qu'une station-service trônait à l'entrée de la ville. Et, à en juger par le type assoupi sur sa chaise, cette station-service ne devait pas être beaucoup plus fréquentée que les routes alentours. Elle toussota pour réveiller le type et demanda :

"Euh... excusez-moi. Je suis en panne d'essence. Ma voiture est là-bas, vous pourriez m'aider ?"

Elle ne put s'empêcher de sourire face à la tête que tirait le gars, mi-surpris mi-amusé. Elle ne comprenait pas, alors, qu'il était quasiment impossible qu'elle ait pu arriver jusque là sans avoir été ramenée par un habitant du village. Encore moins que c'était la première fois qu'il avait dû servir quelqu'un d'extérieur au village. Tout ce que Honey voyait, c'était qu'il lui plaisait et qu'elle pourrait bien passer quelques temps ici. Alors qu'il se levait, elle ajouta :

"Au fait, on est où ici ?"


FOUR
"Va te faire foutre, Robin."

Elle leva les yeux vers lui pour lui signifier qu'elle était sérieuse avant de détourner le regard et son attention. C'était étrange la façon dont il parvenait à la mettre en rogne par sa seule présence. Pourtant, au départ, elle avait cru que ça aurait pu marcher entre eux. Mais non. Parce qu'il était trop con ; parce qu'ils étaient incapables de se comprendre ; parce que sa seule échappatoire avait été de le tromper deux fois. Mais il revenait alors que la seule chose qu'elle espérait, c'était de l'avoir assez dégoûté pour qu'il refuse de simplement la croiser du regard. Seulement, il devait être trop limité intellectuellement pour comprendre cela. Elle soupira et lança en se tournant une nouvelle fois vers lui :

"Mais tu veux quoi au juste ?! Que je te redise une nouvelle fois à quel point t'es qu'un connard arrogant qui pense que le monde tourne autour de lui ? Ou qui croit que la vie ça se limite à attendre que le soleil se couche en sirotant des bières avec ses cousins débiles ?! Ouvre les yeux, tu vaux sûrement mieux que ça simplement t'es trop con pour le voir."

Voilà, encore une fois, il avait réussi à lui faire perdre son sang froid sans même l'avoir ouverte. A croire qu'il avait un don. Honey secoua la tête et conclut par un :

"Laisse tomber, j'me barre."

Elle revint sur ses pas pour rajouter :

"Et puis, j'espère que tu penseras un jour à me rendre ma montre."